Le christianisme à la dérive

Le christianisme affronte les assauts de ses adversaires mais aussi des sabotages. Les menaces sont distinctes mais pas sans lien. Il ne s’agit pas de diaboliser les personnes de conviction mais de dénoncer l’influence mauvaise qu’elles suivent. La démarche se place du point de vue catholique mais elle peut se soutenir à partir d’autres positions. Il s’agit d’abord de défendre la doctrine dans sa cohérence. La question peut être abordée de bien de façons différentes tant elle est ancienne et complexe.
Nous pouvons l’envisager en partant de la perspective rationaliste largement partagée notamment en Europe depuis les temps modernes considérant les religions « en général » comme du domaine de la pensée magique, une fuite du réel. Elle ne n’admet dans le domaine public que les conjectures rationnelles, tolère les opinions laïques mais disqualifie les croyances religieuses. L’approche est absurde pour plusieurs raisons.
Considérer les « religions en général » n’a pas plus de sens que de discuter des « opinions en général », toutes sont distinctes. La réflexion vise à distinguer et discriminer chacune d’elles. L’approche considère à tort souvent que les religions sont indépendantes les unes des autres comme des articles de magasin ou des philosophies. C’est ignorer leurs fondements et leurs liens.
mais le résultat d’une histoire dans laquelle l’Incarnation et la Résurrection du Christ sont des éléments décisifs à partir desquelles plusieurs courants ont divergé de l’héritage apostolique. La révélation du Messie qui sauve du mal par l’Esprit Saint en nous faisant participer à sa puissance salvifique pour nous-même et pour le monde a suscité deux dérives contraires : la gnose et le messianisme.
· La gnose prétend que chaque homme est maitre de son salut, chacun a sa vérité mais seuls des initiés seront sauvés, les autres sont perdus.
· Le messianisme prétend que le salut se trouve dans l’accomplissement collectif de l’histoire pour bâtir une société parfaite, le Royaume de Dieu sur terre, il y a donc les sauveurs et les ennemis de Dieu.

Gnose et messianisme soumettent tous deux la loi morale naturelle à la loi juridique au nom d’une idole : Dieu, l’Humanité, la Révolution… Ils conduisent l’une et l’autre au relativisme moral et rationnel et à la soumission de la conscience et de l’intelligence.

C’est des dérives messianistes postchrétiennes que découlent les multiples utopies qui accoucheront entre autres du protestantisme, de la franc-maçonnerie et finalement du mondialisme et de l’islam, mais aussi, ce qui a du mal à s’admettre, du judaïsme. Par un processus qui reste à éclaircir, dans un christianisme reconnaissant des résidus de lui-même dans ces contrefaçons certains cherchent à refaire son unité en leur prêtant une part de l’inspiration divine et se perdent alors eux-mêmes ! Les contradictions doctrinales sont pourtant évidentes : l’individualisme n’est pas une exaltation de la dignité humaine, non plus que la soumission à un dieu arbitraire est l’adoration attendue par Dieu. Il y a dans ce glissement la tentation d’arracher la grâce par les œuvres au prix de la vérité et une certaine soumission au conformisme social.

Nous irons tous au Paradis
L’héritier de Lumières, humaniste et républicain, marxiste ou libéral, laïciste et relativiste, mondialiste et antiraciste, rationaliste et progressiste cherche la voie de l’accomplissement individuel et collectif pour établir la paix et le bonheur de l’humanité. C’est beau ! Nous avons évoqué les idées et intentions sous-jacentes de cet objectif généreux et les dérives qu’elles entrainent. Depuis les Sadducéens, leurs partisans ont cherché à s’imposer et y sont finalement parvenues en Europe puis en Chine notamment. Il leur a fallu cependant faire un sort de la concurrence des religions qui prétendent aussi guider l’humanité à la félicité. Les faireparts de décès de Dieu ne manquent pas, il y en a de célèbres mais il n’a pas dû les recevoir…

De l’anticatholicisme au relativisme
Le libre-penseur a un problème de taille : il est christianisé. Toute sa vie, il s’efforce de renier son héritage pour gagner ce qu’il croit être sa liberté. Il le fait avec une énergie d’autant plus grande qu’il il lui colle à l’âme et à la peau ! Il n’a reculé devant aucune extrémité pour subvertir et détruire le catholicisme mais comme le martyr est une semence de chrétien, il a cherché à le délégitimer. L’athée vaguement déiste, volontiers un peu bouddhiste et islamophilie mais savant et bien-pensant cherche à porter un regard de clinicien sur les « religions en général ». Mais il est devenu incapable de comprendre la spiritualité et sa démarche qu’il prétend scientifique poursuit l’objectif messianique d’une coexistence pacifique entre les croyances et les cultures. Certes, il examine les unes et les autres comme des vestiges d’un âge obscur avant l’émergence de la raison et de la science mais son relativisme et son esprit de tolérance ont un biais anticatholique. Comme il le fera pour tout ce qui est nécessaire à la justification de ses convictions, il produit des torrents de démonstrations savantes recevant l’onction du politiquement correct.

Le salut pour tous
L’observateur critique n’est pas étonné d’une telle démarche de la part de militants qui postulent l’absence de Dieu dans l’histoire humaine. Il est bien plus consternant de constater que des chrétiens, à partir d’une conception particulière du salut mais aussi de la volonté d’établir eux aussi une cohabitation pacifique à tout prix, rejoignent la même vision sur les « religions en général », c’est la cible de l’article. Cette consternation frappe particulièrement les chrétiens d’Orient et les convertis venant de l’islam ou de l’athéisme. Ceux qui se sont arrachés à leur aliénation découvrent avec effarement que leur conversion embarrasse l’Église !
L’Église affirment que le salut sera offert à tout homme et un certain consensus comprend ou laisse entendre qu’il se gagne ou se perd définitivement pendant la vie terrestre. C’est notamment l’un des arguments de l’abolition de la peine de mort, prétendant devoir laisser au criminel le temps de se convertir. Jésus semble confirmer l’irréversibilité du verdict en Luc16.19, citant le sort de l’homme riche condamné à l’Enfer après une vie de plaisirs ou en Mt22.1 sur le sort de ceux qui n’auront pas honoré son invitation à la noce... Les partisans du salut universel imaginent alors que Dieu ouvre le Paradis aux hommes quelques soient leurs croyances, sur leurs seuls mérites, il faut alors que la vie humaine par elle-même recèle les conditions nécessaires de la grâce. Toute religion aurait un caractère salvifique : le bouddhisme pour les bouddhistes, l’islam pour les musulmans, et finalement quelques soient les croyances de chacun, selon sa conscience.
Il n’est pas nécessaire d’être grand théologien pour percevoir les conséquences radicales et absurdes de cette hypothèse : tout l’édifice doctrinal catholique s’effondre, le baptême devient facultatif et le Nouveau Testament se trouve réfuté mais voilà aussi que des convictions antichrist et satanistes deviennent aussi des chemins du salut ! Beaucoup ont clamé avec Polnareff : « On ira tous au Paradis… Qu'on ait fait le bien ou bien le mal… Qu'on soit béni ou qu'on soit maudit, on ira !... » Les sacrements n’étant plus une condition du salut, l’Église se réduite à sa pompe et à ses œuvres, les fidèles désertent fatalement ses bancs pour trouver des salles de spectacles plus flamboyantes et des associations humanitaires plus dans le vent. Libertins et francs-maçons n’en demandaient pas tant : l’Église trouve parmi ses fidèles les saboteurs les plus efficaces !

L’amour jusqu’à la nausée
Contrairement à la religion mondialiste, relativiste, universaliste et indifférentialiste, Jésus prescrit d’abord l’amour entre chrétiens, vis-à-vis des autres, il prescrit la charité. Dans tous les cas, il réclame le don de soi, pas le sacrifice des siens. De nombreux témoignages apostoliques dessinent les contours exacts de l’amour du prochain devenus complètement flous pour de nombreux chrétiens. Qu’ils ne lèvent pas leurs bras au ciel ! La distinction ne commande ni l'indifférence, ni l'hostilité mais le discernement.
1/ Témoignages apostoliques
2/ L’amour, jusqu’à la nausée

Témoignages apostoliques
Jn4.19 Jn5.4 : Celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère. Celui qui croit que Jésus est le Christ, celui-là est né de Dieu.
Lc6.19 : Car celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère.
Mt12.49 : Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique.
Ceux qui partagent la foi dans le Christ sont membres d’une même famille, ceux qui ne partagent pas la foi dans le Christ n’en sont pas. Peut-on attendre autre chose d’une prédication qui offre la conversion ? Mais là encore, la distinction n’induit pas l’indifférence ou l’hostilité.

Jn13.34 : Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres.
Demeurez en moi, comme moi en vous. […] vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande.
Le commandement de l’amour s’adresse aux disciples entre eux. L’enseignement de Jésus s’adresse prioritairement aux disciples.

Ga3.28 : Il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.
La discrimination des personnes est légitime, il y a bien des juifs et des Grecs ; des esclaves et des hommes libres, des hommes et des femmes. Ces personnes partagent une même nature non par immanence mais par transcendance, par leur foi dans le Christ.

2Jn1.7 : Si quelqu’un vient chez vous sans apporter cet enseignement, ne le recevez pas dans votre maison et ne lui adressez pas votre salutation, car celui qui le salue participe à ses œuvres mauvaises.
La complaisance avec ceux qui récusent le Christ est bien une complicité avec le mal.

Mt10.37 : Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.
L’amour du prochain ne prévaut donc pas sur la foi dans le Christ.

Lc10.25 : Et voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? » L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. » Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? » Jésus reprit la parole : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort. […] Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? Le docteur de la Loi répondit : Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. Jésus lui dit : Va, et toi aussi, fais de même.
L’amour du prochain étranger qui ne croit pas dans le Christ c’est l’amour de pitié, de charité. Certes, la parabole étend l’amour aux autres mais sans pouvoir contredire la condition préalable du premier commandement sur l’amour de Dieu et nécessairement la foi dans la Christ.

La parabole du Bon Samaritain est abusivement citée pour soutenir les doctrines indifférentialistes et solidaristes, jusqu’à l’abus. L’homme a payé sur ses seuls biens le secours qu’il a dispensé, il a en outre assumé les frais du recouvrement complet de celui qu’il a secouru, il n’a pas fait prendre en charge sa générosité par la communauté. En outre, l’homme avait été attaqué, sa vie était menacée, sa situation n’est pas comparable à celle des migrants économiques. Enfin, après sa remise sur pied, il a poursuivi sa route.

Mt 25.35 : J’étais un étranger et vous M’avez accueilli.
La traduction est abusive. Le texte grec livre le mot xénos, le texte latin le mot hospes. Les deux désignent celui à qui on donne l’hospitalité et non l’étranger comme les autres occurrences de xénos et hospes le confirment. L’idée n’est pas d’accueillir l’étranger à demeure, mais de lui offrir l’hospitalité d’étape. Le mot « étranger » au sens d’immigré figure seulement dans l’Épitre aux Éphésiens (Ep2.19), et de façon péjorative. Saint Paul écrit : « Vous n’êtes plus des hôtes ni des étrangers ; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la Maison de Dieu. ». Saint Paul utilise deux mots différents : « Xénoi kai Paroikoi » (en grec), « hospites et advenae » (en latin), pour embrasser entre ces deux termes, l’hôte de passage et l’immigré, la totalité des situations possibles en lesquelles les chrétiens ne se trouvent plus depuis qu’ils ont établi leur demeure en Jésus. Le salut se joue sur l’hospitalité accordé à l’hôte de passage pas à l’envahisseur !

1Ti5.8 : Si quelqu’un ne s’occupe pas des siens, surtout des plus proches, il a renié la foi, il est pire qu’un incroyant.
Saint Paul ordonne clairement la préférence aux siens et cela ne suppose pas l’indifférence aux étrangers. S’il faut rappeler l’évidence c’est que les conceptions morales sont profondément perverties.

L’amour, jusqu’à la nausée
Les chrétiens partisans de l’amour inconditionnel escamotent les enseignements du Christ comme pour le surpasser, mais qui veut faire l’ange, fait la bête ! Il y a l’orgueil caché d’être parfait et l’influence de l’indifférentialisme, chacun se flatte d'appartenir au camp du bien. La surenchère confine à l’absurde. Jean-Jacques Rousseau avait mis en garde contre cette dérive dans l’Émile : Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu'ils dédaignent de remplir autour d'eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d'aimer ses voisins.
La plupart des chrétiens ne se sont pas acquittés de l’amour dû aux leurs mais s’affairent à des œuvres de charité pour des étrangers avec lesquels ils ne partagent rien et qu’ils ne connaitront jamais. Ils n'assument pas non plus les conséquences à long terme de leurs actions. Leur amour est frelaté jusqu’à la nausée.
Si devenir chrétien c’est « aimer les hommes de l’amour même de dieu » et si on ne peut aimer Dieu sans aimer les hommes, on ne peut les aimer en vérité sans aimer Dieu car « En dehors de l’amour de Dieu, l’amour des hommes risque fort de n’être qu’une extension de l’amour de soi » dit le Père de Lubac…
Parle-t-on du même amour ? Faut-il rappeler qu’il y a l’amour de soi qui résulte de l’estime de soi ; l’amour propre, l'amour de soi dans le regard des autres ; eros, l’amour de concupiscence ; philea, l’amour d’amitié ; agapae, l’amour gratuit et caritas, l’amour de charité… Voilà qui ouvre des disputes sur les définitions mais laissons !
Aujourd’hui, éros règne en maitre sur l’amour, il s’étale sur tous les écrans et dans toutes les chansons.

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